Champs de sons : Semence d’humanisme
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Crédit Photo: Charles Placide TOSSOU
Il est des spectacles qui magnifient la vie de ceux qui aiment la vie et qui l’aiment vraiment ;
Il est des spectacles qui accordent à l’être humain sa juste proportion dans la nature en tant qu’élément d’un tout dont il se doit de préserver l’intégrité ;
Il est des spectacles qui, même après l’extinction des feux sur la scène, vous accompagnent encore quelques jours tant le propos se colle à la conscience humaine si éprouvée par notre ère de pillage de destruction massive tous azimuts ;
Il est en effet des spectacles dont on ne se décroche pas. Ou presque jamais.
Champs de sons d’Emil Abossolo-Mbo est ce grain d’affabilité qui mérite d’aller partout en Afrique pour rappeler aux africains là où ils ont trébuché, et au monde le spectre de sa destruction programmée si…
Ce spectacle qu’il joue depuis 2007 se raconte par lui-même à la première personne du singulier. Il s’agit pratiquement d’un récit autobiographique. En témoigne le rappelle que fait l’auteur-narrateur sur le fait qu’il se retrouve toujours dans les classes N°1 à cause de son nom commençant par les premières lettres de l’alphabet.
Il s’agit d’éducation et de culture, il s’agit de la part de musique en chaque chose qui donne le tempo de la vie, il s’agit de transmission ancestrale d’un message poreux à toutes les sagesses, il s’agit des nombreuses questions sans réponse que se pose un enfant et auxquelles l’écoute des battements de son cœur constitue un début de réponse.
Crédit Photo: Charles Placide TOSSOU
En introduction, Emil Abossolo-Mbo, le narrateur ou le conteur, promet aux spectateurs un moment de débordement de bonheur véritable et chargé d’une pleine envie de ne jamais tricher. Il salue, remercie, s’excuse auprès d’un public qu’il tient par une humilité certes calculée mais dont la sincérité ne souffre d’aucune espèce de doute. Calculée par ce qu’on peut se dire à la fin, « c’est un spectacle ! Tout a certainement été pensé en amont pour arrondir les angles ». Mais tout ne passe pas toujours. Et lui Emile le narrateur a réussi son exercice, lui qui finit son plaidoyer à genoux face à un public qui, comme un seul homme, s’est levé pour un si long standing ovation.
Crédit Photo: Charles Placide TOSSOU
Avant cette apothéose, c’est à un voyage au bout de sa terre natale, le Cameroun, que l’auteur, comédien, metteur en scène mène ses vis-à-vis. Un pays jadis terre de sons où il a vu le jour, bercé dès les premières heures par le vieux Wintaka et les meilleures intentions de ses parents et grands-parents. Le vieux Wintaka, cette sagesse des peuples des forêts lui apprit qu’il « n’est pas ce qu’on appelle un pygmée » mais un homme dont le clan et l’éducation ancestrale servira de sous-bassement à la formation à la vie du conteur, grand artiste, dont la performance rencontre l’universel dans un langage de vérité et d’authenticité. Entre-temps, pour satisfaire le souhait de ses autres parents de le voir devenir avocat, juges, général ou président de la république, le jeune-homme dû arpenter sept kilomètres pendant sept ans pour aller à l’école moderne, une de celle qui dans l’Afrique postcoloniale part de l’apostolat qu’il « faut souffrir pour devenir fort ».
Le spectacle est une fenêtre sur ces sept années d’éducation à l’école moderne empreintes de la nostalgie des méthodes de transmission de connaissance plus souples et plus complètes du vieux Wintaka, l’irremplaçable grand père spirituel du narrateur, auprès duquel il a été forgé à la vie pendant ses trois premières années sur terre.
Sur scène, Emil Abossolo Mbo joue de son corps et des objets des plus simples au plus spécifiques et éparpillés aux quatre vents, sur une table - celle de l’enseignant sans doute, sur terre ou dans l’air. Ce spectacle épique, organique et authentiquement musical est un chant de sons, une ode à l’humanité quasi perdue.
Il est des spectacles réparateurs qu’il faut voir absolument.
Arcade ASSOGBA