Entretien avec l’artiste béninois Charly Djikou
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Face à la Covid-19, faire social avec l’art contemporain
Certains artistes chanteurs du Bénin ont choisi leur timbre vocal pour sensibiliser les populations sur les mesures barrières de lutte contre la propagation de la pandémie de coronavirus ; le plasticien, peintre et sculpteur, Charly Djikou, a préféré sculpter la pierre pour renforcer la lutte contre cet ennemi universel. A partir de ses matériaux, il a réalisé dix-neuf sculptures en pierre dont le thème central reste focalisé sur la Covid-19. En attendant l’exposition desdites œuvres, Charly Djikou dévoile ici, la responsabilité citoyenne et sociale qui forge son initiative. Entretien.
Du 30 Mars au 10 Mai dernier, le gouvernement béninois a établi autour de certaines villes du Bénin, notamment Abomey-Calavi, le cordon sanitaire en vue de lutter contre la propagation de la pandémie du Coronavirus. En tant qu’artiste contemporain habitant cette localité, comment avez-vous vécu cette période ?
Il faut dire que j’ai vécu cette période comme tous les béninois résidants dans le cordon sanitaire. Toutefois, je me suis consacré à écrire l’histoire de ce moment important dans la vie de chaque personne. En un mot, il s’agissait pour moi de matérialiser l’histoire du coronavirus dont l’issue sera une exposition des œuvres d’art contemporain. C’est ainsi que j’ai débuté mes créations avec les différentes couleurs de pierre du Bénin. J’ai créé dix-neuf pièces autour de la thématique de covid-19. Ce sont des sculptures réalisées à partir des matériaux de pierre. J’ai associé deux autres artistes contemporains au projet. Un peintre et un photographe d’art. Ces derniers vont s’inspirer des formes et thématiques de mes sculptures pour créer leurs œuvres selon leurs diverses techniques de travail. On aura dix-neuf toiles et dix-neuf œuvres photographiques. Au total, cinquante-sept œuvres composées de sculptures, de toiles et de photos d’art seront bientôt exposées au public sur le thème Covid-19, dans le respect strict des mesures barrières. Il faut retenir que j’ai passé cette période à travailler autour de la pandémie du coronavirus.
Toutes vos sculptures se focalisant sur la Covid-19, quels sont précisément les messages que vous tentez de véhiculer ?
L’idée force de ce projet d’exposition collective est inspirée du contexte de la Covid-19. Les messages que j’ai tentés de véhiculer gravitent autour de trois fondamentaux. Il s’agit de l’analyse de la situation de la pandémie de coronavirus, les précautions à prendre et les mesures de prévention. Les dix-neuf pièces sont réalisées dans ce canevas précis. C’est ainsi qu’on a des sculptures qui parlent, entre autres, du respect, le confinement, la perte, l’économie et la vie humaine, la solidarité, la responsabilité, la communication, la barrière, l’avenir, la conscience, l’identification confuse parce que parfois, les cache-nez que nous portons ne nous permettent pas d’identifier nos connaissances, l’humanité, la réflexion, l’amour, l’identité et l’harmonie. A partir de ces thèmes, les artistes associés au projet vont également créer leurs œuvres pour auréoler cette exposition collective. Il s’agit d’une expérimentation de travail où ces artistes s’appuieront sur mes créations pour faire leurs propres œuvres dans leurs techniques de travail. Mais l’œuvre créée portera le même nom que la sculpture initiale.
Quelle est le sens de la sculpture intitulée ‘’le social’’ dans vos créations ?
Les artistes engagés pour le projet ont pensé le social autrement. Il s’agit pour nous de faire quelque chose qui va marquer la société. Nous pensons vendre les œuvres réalisées à petits prix par la stratégie de charité afin de permettre à beaucoup de personnes de s’en procurer. Les fonds issus de la vente serviront à payer des cache-nez, les gels hydro-alcooliques et concevoir des affiches de sensibilisation au profit des élèves de cinq écoles primaires publiques du Bénin. Une manière pour nous de participer à la sensibilisation et de faire le don de ces matériels nécessaires pour se protéger contre la pandémie de coronavirus au Bénin. C’est notre manière de faire le social avec nos œuvres d’art contemporain. Il s’agit de participer à l’action du gouvernement béninois pour préserver et sauver le peuple béninois.
Dites-nous les différentes gammes de pierres sélectionnées pour la réalisation des sculptures.
Vous savez, le Bénin est un pays immensément riche en matière de pierres. Nous avons plusieurs couleurs de pierres au Bénin. Pour la réalisation de ces œuvres, j’ai utilisé les pierres de couleur jaune de Lokossa, la pierre marbre de couleur noire de Dan, les pierres marbre de couleur blanche des localités d’Idadjo, de Dassa, de Savalou et de Savè. Pour écrire cette histoire de Coronavirus, j’ai utilisé des pierres issues de diverses localités du Bénin. Mon souhait est que cette histoire puisse rester dans le temps pour des générations. Le monde entier saura un jour que le Bénin, un petit pays de l’Afrique de l’Ouest, a aussi vécu à sa manière cette pandémie. Je convoite que cela reste éternel dans l’histoire de l’humanité.
Avez-vous déjà fini la création des cinquante-sept œuvres d’art contemporain pour cette exposition collective ?
Nous ne sommes pas loin de l’aboutissement des cinquante-sept œuvres d’art contemporain. Les artistes associés au projet ont beaucoup évolué dans les créations au niveau de leurs ateliers respectifs. Nous avons programmé la tenue d’une journée portes-ouvertes. Cette option permettra aux trois artistes contemporains, le Sculpteur, le Peintre et le Photographe d’Art de réaliser les dernières œuvres du projet sur place, plus précisément dans mon studio (Atelier d’art). Nous allons profiter de cette occasion pour inviter des hommes des médias, des artistes contemporains, des acteurs de l’art et de la culture et quelques habitants de la localité. Cette journée marquera ainsi le début de la sensibilisation sur la pandémie avant le rendez-vous de l’exposition collective. Même si le lieu du vernissage de cette exposition n’est pas encore défini, nous sommes en négociation avec les responsables de l’espace ‘’La maison rouge’’ et le directeur du centre culturel ‘’Artisttik Africa’’. Je souligne au passage le directeur dudit espace, Monsieur Ousmane Alèdji est le parrain de cette exposition collective.
Est-ce que la Covid-19 existe vraiment selon vous ?
Ah bien sûr ! Malheureusement, il y a des béninois qui ne croient pas encore à l’existence de cette pandémie. Et c’est grave ! Il faut qu’ils commencent par croire à cet ennemi invisible. Si on en parle partout dans le monde, alors cela existe bel et bien. J’exhorte tout le monde à redoubler de vigilance et à respecter surtout les mesures barrières pour lutter contre cette pandémie.
Quel est votre regard sur les différentes créations d’art contemporain de la nouvelle génération sur la thématique que vous abordez ?
Je dois dire que les créations de la nouvelle génération me rendent fier. Parce qu’elle continue de se battre pour maintenir la flamme de la création contemporaine au Bénin. Outre leurs propres techniques de travail, j’exhorte la nouvelle génération à s’inspirer davantage des valeurs culturelles du Bénin dans leurs diverses créations. Il faut qu’elle arrive à porter un langage artistique véridique, lorsqu’il s’agit d’expliquer leur création. Ce sont ces aspects qui feront la marque et l’histoire du Bénin dans les créations au plan international. Je suis conscient que l’artiste doit s’ouvrir également aux réalités extérieures mais il faut le faire avec tact pour éviter d’être colonisé. Pour ma part, je ne fais que la réécriture des choses que je vis dans mon environnement proche ou lointain.
Propos recueillis par Rodéric DEDEGNONHOU,
Contributeur, journaliste à l’Agence Bénin Presse (ABP)