Une satire sociale qui pond des émotions


La compagnie Olayitan théâtre était en parfaite symbiose ce samedi 13 décembre avec le public de l’institut français de Cotonou. C’est le spectacle « Les pondeuses de boucs » réalisé de l’écriture jusqu’à la représentation par de jeunes artistes béninois qui, dans un procédé humoristique, ont su mettre en lumière des banalités qui coûtent à la société africaine.

Le public a pleuré de rire. C’est l’histoire de Ladji (joué par Cyriac Batcho), un sexagénaire qui attendait en vain une progéniture mâle. Naïmath son épouse vient de donner vie à leur quatorzième enfant qui sera aussi une fille « une orange » de plus et non « une banane ». L’attente devenait longue et Ladji est de plus en plus la risée de son entourage, notamment de sa cour où Ablawa (jouée par Mariam Darra), la femme de son jeune frère ne cesse d’alimenter les médisances et commérages. Ladji décide de prendre une seconde épouse, une jeune fille plus « fraiche » à même de lui pondre « le bouc » qui lui fait tant défaut. Avec l’aide et la participation musclée de son oncle, les parents de Foussena (Nelly Zinsou), la jeune fille de 15 ans, ont donné leur avis favorable à ce mariage arrangé. Fousséna attend un enfant de Ladji. Stress général, prière et prière. Puis coup de théâtre ! La grossesse est déjà à terme et Foussena en travail. L’attente est remplie de suspens et de quiproquo. Dans cette atmosphère, Ladji lancera que la grossesse que porte « enfin » Ablawa n’est pas celui de son frère. Accusation que la mise en cause ne nie pas. Elle acquiesce plutôt et révèle que l’auteur de sa grossesse est le même que celui de la grossesse dont on attend impatiemment le fruit. C’est Chabi, un jeune du village. Chabi l’ancien copain de Foussena alors Modji. On vient annoncer la naissance de l’enfant et le trépas de sa mère. C’est un garçon. « Le bouc » est là mais non seulement «  la pondeuse ne pourra pas l’élever, Ladji ne pourra en confirmer la paternité.

 
                                                 Bienvenue en Afrique !
Du décor à la régie-son, passant par le costume et le jeu d’acteur, ce spectacle est une chronique des vices et réalités caractéristiques des sociétés africaines. La scène se présente comme un champ de désordre. Des pagnes séchés sur des murs (de circonstance), des vêtements au sol pêle-mêle, des bassines… Musique mandingue en fond sonore, têtes couvertes de foulard chez les femmes. Nous sommes en milieu musulman. L’accent des salamalecs et leur durée en dit long et plonge le spectateur dans cette oralité qui l’incarne
Avec la plus grande banalité, l’auteur et le metteur en scène touchent les lacunes des mentalités. L’obsession de Ladji à avoir un  garçon comme pour signifier l’impotence ou la non-représentativité de la fille  donne à voir le regard qui est porté sur la femme dans cette société. Et en arrière-plan, on peut déceler le problème de planning familial. 15 ans de vie de couple et 14 accouchements. Le commérage sportivement alimenté par Ablawa qui peut passer toute sa journée à traiter de la situation de Ladji pendant qu’elle-même fait face dans son foyer à l’inefficacité sexuelle de son homme, l’infertilité de sa semence, de surcroit.  L’infidélité…Et le public ne finissait pas d’applaudir.


                                               Le spectacle et son public
Les six comédiens ont donné de l’émotion aux spectateurs, pendant la représentation de ce spectacle, une écriture de Hurcyle Gnonhoue mis en scène par Sedoha Didier Nassegande. Que ce soit Théâtre de dialogue parsemé de codes linguistique et gestuels (que le public arrive à déchiffrer), «Les pondeuses de boucs » est un spectacle dans lequel l’oralité règne en maître. De régulières expressions relevant de l’interférence linguistique confirment que ça se passe dans des milieux précis ou du Bénin ou d’un quelconque pays africain mais surtout sahélien. Il faut déjà se demander pourquoi « boucs » pour parler d’enfants et « pondeuses » pour désigner les mères. Le bouc c’est le mâle de la chèvre. Et le verbe “Pondre’’ suggère la volaille. Cette métaphore zoologique renvoie à l’image peu méliorative de l’espèce humaine et amène à reconsidérer la manière de percevoir l’homme en général mais la femme en particulier dans les sociétés africaines. Un message véhiculé par l’humour qui frise même le sarcasme. La simple apparition de l’Oncle (joué par Giovanni Houansou)  fait déjà rire le public qui est très amusé par la démarche, l’accent et le costume de ce personnage qui laisse transparaitre le peulh, le bouvier.  Ce public se montrait, pour le moins, très intéressé et donnait son consentement au fur et à mesure, sans croire devoir attendre la fin du spectacle pour applaudir.  C’est sans doute sa manière de vivre la catharsis. Mais une inquiétude pour le metteur en scène : On peut être tenté de se demander si cette réception du spectacle ne varierait pas d’un public à un autre, selon les différences socioculturelles. Et si c’est le cas, ce spectacle pourrait avoir de limite à tourner. Dans tous cas de figure, il aura le mérite d’aborder des questions de société et de faire vendre une culture.
                                                                                           Eric AZANNEY

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